http://0481.jp/Le titre des pièces interprétées n est pas indiqué à l '
extérieur : on ne vient pas voir une pièce, mais une troupe! Le chef,
zachô, est l âme de la troupe. On attend de lui qu'il ait la virilité
des rôles masculins de bandit d'autrefois, de marin, de vagabond, d'anti-hero, et en même temps qu'il ait la féminité de femme délaissée , de Geisha timide ... ).
Inversement, les femmes jouent aussi à l'occasion des rôles d'hommes.
De manière générale, le spectacle qui dure trois a quatre heures se déroule en
trois parties. La première présente l ensemble des membres de la troupe à
travers un certain nombre de danses isolées, à deux ou en grand nombre.
Après un premier entracte, vient la pièce de théâtre, drame ou comédie,
les deux étant souvent mêlés. Après un second entracte, c est à nouveau
en dansant que les acteurs s offrent au public. Il n'y a pas de textes
écrits des pièces : c'est oralement que se font les répétitions et la
répartition des rôles sous la direction du chef. On appelle kuchidate,
ce principe qui remonte aussi au kabuki d'autrefois.
L entrée est permanente et coute 1600 yen, alors qu'on ne
peut guère apprécier le kabuki ou tous les autres théâtres à moins de 10 000
yen. Une place de cinéma tourne autour de 2000 yen à Tôkyô. Certaines
salles de théâtre sont en tatami, d'autres offrent des sièges comme dans
un théâtre de style occidental, d'autres encore permettent le choix.
Certaines salles ont un hanamichi, cette allée qui traverse la salle et
par laquelle les acteurs peuvent entrer et sortir et surtout se donner
de plus près encore au public. La mère joue aussi des rôles de vieille
femme dans les haha mono, les pièces qui font pleurer dans lesquels les
mères (haha) jouent un rôle central.
Le kabuki et le nô sont l objet d un respect dû à des classiques, mais
les héritiers vivants des traditions anciennes sont, eux, oubliés,
ignorés, voire méprisés. Le célèbre réalisateur japonais Ozu Yasujirô a
pourtant consacré deux films, l un en noir et blanc, l autre en couleur,
aux troupes d acteurs itinérants sous le titre de Ukikusa «Herbes
flottantes». Ces troupes de théâtre et de danse ne cherchent d'ailleurs
pas à se faire connaître en Occident, car elles ont un public très
fidèle et vivent en osmose avec lui. Elles sont pourtant les héritières
du kabuki, l'art de «la contorsion» et de «l extravagance», tel qu'il
fut pratiqué avant l'époque moderne quand il était considéré comme un
lieu de perdition où les guerriers ne devaient pas aller (ils y allaient
donc en cachette), quand les acteurs étaient considérés comme des
manants à éviter et qu'on interdisait aux femmes d'y jouer. Ce «théâtre
populaire» a connu bien des métamorphoses au cours de l histoire du
Japon moderne. Il a aussi subi de plein fouet la concurrence de la
télévision et déjà au début des années 60 le correspondant du Monde,
Robert Guillain, mentionnait dans un article la destruction d une salle
de théâtre dans le quartier populaire de Kitasenjû à Tôkyô. Cette forme
de théâtre est-elle en voie de disparition? Toujours est-il qu elle se
maintient aujourd hui même, sans aucune subvention, avec un public qui
lui est fidèle. *** La différence fondamentale que l'on trouve par
rapport au kabuki, c'est que ces troupes d'acteurs ambulants qui
constituent toujours, ou presque toujours, des familles avec le père, le
grand-père parfois, le fils adulte, son épouse, ses enfants, des
frères, la ou les grands-mères, des bébés qui gambadent dans les
coulisses... présentent un spectacle auquel participent hommes et
femmes. Tout ce petit monde réside pendant un mois dans un théâtre où il
joue une pièce différente tous les soirs et parfois même une pièce
différente en matinée et en soirée. Le mois suivant, la troupe repart
ailleurs et cède la place à une autre.
Leur statut de marginaux persistant les membres de taishû-engeki
restent socialement invisibles. Mis à part un nombre limité de
passionnés, leur existence est inconnue du grand public pour sa plus
grande part. Malgré une inscription officielle de résident à un endroit
particulier, les artistes voyagent continuellement au Japon, mois après
mois. Tout comme leurs ancêtres séculaires, ils conservent un style de
vie nomade.
Afin de définir et de décrire le style de vie et le drame distincts de
taishû-engeki, il est nécessaire d’examiner son contexte historique,
vieux de plusieurs siècles. Bien que ses origines demeurent inconnues,
il provient en partie de diverses formes de spectacles de rue conçus
pour le divertissement et introduits par des artistes itinérants de
Chine vers le 7ème siècle. Cette forme originale de divertissement en
plein air s'appelait sangaku, c'est-à-dire une variété de formes de
divertissement. Mais au fil du temps, on l'appelait généralement
sarugaku (alias sarugô) pour des raisons qui n'ont pas encore été
prouvées. Les artistes de Sarugaku étaient des chanteurs, des danseurs,
des acrobates, des marionnettistes, des magiciens et des imitateurs
d’animaux-insectes. Sur le plan de la généalogie, cet éventail varié
d’artistes est le lointain ancêtre de ce qui est maintenant largement
connu sous le nom de théâtre nô, mais il est également lié aux acteurs
actuels de taishû-engeki.